La Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, aussi appelée Convention d'Istanbul, est un texte de référence en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, ratifié par la France en 2014. La Convention est notamment un outil de plaidoyer pour améliorer la prévention des violences, la protection des victimes, la poursuite des auteurs et la mise en place de politiques coordonnées en Europe.
La Convention d’Istanbul définit les violences faites aux femmes comme « une manifestation des rapports de force historiquement inégaux entre les femmes et les hommes ayant conduit à la domination et à la discrimination des femmes par les hommes, privant ainsi les femmes de leur pleine émancipation ». Jusque-là, la Convention ne mentionnait pas de manière spécifique les cyberviolences sexistes et sexuelles alors même que ces formes de violences liées aux outils ou espaces numériques ont pris de l’ampleur avec la pandémie de COVID 19.
Pour répondre à cette problématique, le GREVIO (groupe d’expert·es sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique) a élaboré une recommandation afin que soit prise en compte la dimension numérique des violences.
Qu'est-ce que le GREVIO ? Pourquoi cette recommandation ?
Le GREVIO est un organe indépendant, composé d’expert·es élu·es de plusieurs pays d’Europe, chargé de veiller à la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul à travers la rédaction de rapports d’évaluation par pays1, et de résolutions ou recommandations générales.
Dans le cadre du suivi et de l’évaluation de la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul dans les différents États parties, le GREVIO a fait le constat que les cyberviolences passaient souvent sous les radars. Le GREVIO note également que les violences sexistes et sexuelles sont peu prises en compte dans les débats sur les nouvelles technologies, et que les politiques de lutte contre ces violences ne prennent pas systématiquement en compte la dimension numérique qu’elles peuvent revêtir. De plus, le GREVIO précise que : « les formes numériques de la violence à l’égard des femmes peuvent être particulièrement prononcées lorsqu’elles ciblent les femmes et les filles qui sont exposées ou risquent d’être exposées à des formes de discrimination croisée, et peuvent être exacerbées par des facteurs tels que le handicap, l’orientation sexuelle, l’affiliation politique, la religion, les origines sociales, le statut migratoire ou la célébrité ».
Ainsi, le 24 novembre 2021, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le GREVIO a publié une recommandation à l’attention des États parties (dont la France) pour prendre en compte la dimension numérique des violences faites aux femmes dans la mise en œuvre de la Convention.
Pour une inclusion systématique de la dimension numérique dans le continuum des violences faites aux femmes
Le GREVIO constate que les termes employés pour définir les violences amplifiées et facilitées par la technologie sont divers, certains sont en anglais (cyberstalking, revenge porn, etc.), et recouvrent des réalités distinctes. De plus, des termes comme « cyberharcèlement » ou « violences en ligne » ne soulignent pas le fait que ces violences visent de manière disproportionnée les filles et les femmes.
Le GREVIO a ainsi fait le choix de l’expression « dimension numérique de la violence à l’égard des femmes » afin de mettre en lumière le fait que ces violences s’inscrivent dans le continuum des violences fondées sur le genre.
La dimension numérique recoupe aussi bien les actes commis en ligne que ceux facilités par les technologies (via des logiciels, des applications, etc.).
Focus sur les principaux approts de la recommandation sur la dimension numérique de la violence à l'égard des femmes
Ce texte n’a pas de valeur contraignante mais propose un cadre européen commun pour encourager les États parties de la Convention à porter une attention systématique à la dimension numérique des violences. Les recommandations formulées par le GREVIO sont des outils mobilisables dans le cadre d’actions de plaidoyer afin d’encourager la prévention et la lutte contre les cyberviolences sexistes et sexuelles.
Parmi les recommandations, le GREVIO invite les États parties à agir dans plusieurs directions :
- Des moyens pour les associations pour s’adapter aux enjeux numériques de la protection des victimes : doter les associations spécialisées sur les violences faites aux femmes, ainsi que les autres services pertinents, des ressources humaines et financières nécessaires pour assurer la prise en charge des victimes, notamment en s’adaptant aux spécificités des violences liées aux technologies. Cela implique par exemple d’avoir des ressources suffisantes pour « faire appel à des expert[·es] en informatique » si cela est nécessaire (paragraphes 53c et 57c).
- Prévoir la formation de l’ensemble des professionnel·les en contact avec des victimes aux spécificités des cyberviolences sexistes et sexuelles : assurer « de façon obligatoire et continue » la formation des professionnel·les (notamment celles et ceux de la chaîne pénale, de la santé, des services d’asile, des services sociaux et de l’éducation) « afin de leur dispenser des connaissances sur les manifestations numériques de la violence à l’égard des femmes, sur l’accompagnement des victimes sans provoquer de victimisation secondaire ni de nouveau traumatisme et, le cas échéant, sur les cadres juridiques et les mécanismes de coopération internationale en vigueur concernant la dimension numérique de la violence à l’égard des femmes, ainsi que sur la collecte et l’obtention de preuves électroniques » (paragraphe 51f).
- Des moyens pour les professionnel·les de police et de justice pour mieux collecter les preuves numériques des violences basées sur le genre : accroître les capacités (compétences et ressources financières, humaines et techniques suffisantes) des professionnel·les de la chaîne pénale notamment en matière de collecte de preuves numériques, afin de « mener avec efficacité des enquêtes et des poursuites » (paragraphes 55a et 55b).
- Mieux protéger les femmes victimes de violences conjugales des cyberviolences après la séparation : prendre en compte la dimension numérique des violences dans les ordonnances de protection (paragraphe 55e). En France, il est possible dans le cadre de l’ordonnance de protection d’interdire à l’auteur des violences d’entrer en relation avec la victime « de quelque façon que ce soit » (art. 515-11 du Code civil), ce qui théoriquement inclut les communications via les outils et espaces numériques.
- Rendre compte du traitement judiciaire des cyberviolences sexistes et sexuelles : veiller à la publication de données relatives à la dimension numérique des violences faites aux femmes, notamment sur le traitement judiciaire de ces violences (paragraphes 55c et 57d).
- Visibiliser les cyberviolences dans les données sur les contextes des féminicides : intégrer des informations relatives à la dimension numérique des violences à l’ensemble des données relatives aux suicides, tentatives de suicide et meurtres liés au genre (paragraphe 57e). En France, l’Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple du ministère de l’Intérieur commence à prendre en compte, depuis 2019, les faits de cyberviolences antérieures.
La recommandation générale du GREVIO apporte ainsi un cadre de référence sur lequel s’appuyer afin d’améliorer la prévention et la lutte contre toutes les formes de violences fondées sur le genre, y compris celles liées au numérique.
Vous pouvez consulter le texte complet en français de la recommandation générale n°1 du GREVIO sur la dimension numérique de la violence à l’égard des femmes, adoptée le 20 octobre 2021 ici.
1. En 2018, le GREVIO a publié le rapport d’évaluation de la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul par la France.